La frise chronologique
- 1963
- 1973
- 1979
- 1981
- 1982
- 1984
- 1986
- 1989
- 1991
- 1995
- 1997
- 1999
- 2002
- 2007
- 2010
- 2012
- 2015
- 2018
- 2019
- 2020
- 2021
- 2023
- Apprentissage avec Micheline Legendre (1963-1973)
André Laliberté a tout juste 14 ans quand un grave accident le maintient hospitalisé à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal pendant de longs mois. C’est là qu’il voit son premier spectacle de marionnettes, Nikos et le trésor, des Marionnettes de Montréal. Pour lui, c’est une révélation ! Un an plus tard, surmontant sa grande timidité, il rencontre Micheline Legendre, directrice artistique des Marionnettes de Montréal, qui l’invite à suivre la compagnie pendant les fins de semaine et les congés scolaires. C’est ainsi qu’André se retrouve déménageur, préposé aux montages du castelet, balayeur émérite, déchireur de tickets et délégué aux courses. Jusqu’au jour où il manque une paire de mains sur les ponts. André y grimpe avec enthousiasme pour manipuler un oiseau.
Micheline Legendre (1923-2010) était une spécialiste de la marionnette à long fils, l’une des techniques les plus difficiles de la marionnette. Son castelet se composait de deux ponts encadrant l’aire de jeu. Grâce à l’agilité de son jeune âge, André devient vite le champion du passage du pont avant au pont arrière dans des temps olympiques, mais surtout, il devient un virtuose de la marionnette à fils. Il reste pendant dix ans avec les Marionnettes de Montréal, où, comme les compagnons du Moyen Âge, il apprend son métier et transmet son savoir-faire : devenu répétiteur pour plusieurs des spectacles de la compagnie, il forme les nouveaux marionnettistes.
Au Jardin des Merveilles du parc Lafontaine, Micheline Legendre dirige un théâtre de marionnettes pendant sept saisons, où elle présente les adaptations de Tintin (dont elle avait obtenu les droits de Hergé, exploit qui mérite d’être souligné). André manipule d’abord Milou, puis le capitaine Haddock, de qui il a certainement hérité de son goût pour le whisky, dit-il ! C’était un apprentissage à la dure : de la Saint-Jean à la Fête du travail, six jours par semaine à raison de trois, parfois quatre représentations par jour. Pour ses vingt ans, André célèbre le monde lors de l’Exposition universelle de 1967. Micheline avait réussi à organiser, avec le concours du pavillon de la jeunesse, un Festival international de la marionnette au cours duquel André a eu le privilège de côtoyer Jacques Chesnais, grand maître français de la marionnette, Albrecht Roser, marionnettiste allemand réputé, le très renommé théâtre de Spejbl et Hurvinek de Tchécoslovaquie… Des rencontres qui allaient être déterminantes dans son évolution de marionnettiste.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Les mésaventures de la perdrix blanche - 1973
- Une fable au chou - 1974
- Tohu Bohu - 1976
- Le Toutatous - 1977
En 1973, André Laliberté fonde le Théâtre de l’Œil avec Francine Saint-Aubin, photographe et plasticienne. Ensemble, ils écrivent le premier spectacle, Les mésaventures de la perdrix blanche, inspiré d’une légende autochtone qui ressemble à la fable de La Fontaine, Le corbeau et le renard. Dans ce spectacle, où la perdrix se contentait d’un rôle secondaire, le corbeau est plus malin que le renard, qui commence par perdre le poisson qu’il a dans la gueule. Quand il attrape le corbeau par une aile, celui-ci lui dit : « avant de me manger, dis-moi d’où vient le vent ». Le renard ouvre la gueule pour répondre : « quelle question stupide ! » Le corbeau libéré en profite pour s’envoler en disant : « c’est encore plus stupide d’y répondre !».
« Les spectacles de la compagnie étaient très simples, se souvient André. Peu de personnages, un castelet avec un décor et des lumières minimalistes. » Une fable au chou, écrit et mis en scène en 1974 par Jocelyn Desjarlais et André Laliberté, présentait une histoire assez naïve, celle d’un petit garçon qui s’appelle Non et cherche une amie. Pour la trouver, il voyage dans la géométrie et traverse les pays des ronds, des triangles et des carrés. À chaque forme étaient associées une couleur primaire et sa complémentaire. « À la fin du spectacle, on demandait aux enfants de dessiner le pays qu’ils avaient préféré. Aucun ne s’est trompé dans l’association forme et couleurs, alors que ce n’était jamais dit dans le spectacle ! » Finalement, le petit Non rencontre une petite fille ronde, carrée et pointue qui s’appelle… Oui !
Tohu bohu, en 1976, était une fable écologique.
«C’était dans l’air du temps !» dit André, auteur du texte et de la mise en scène. Les animaux, fatigués de la pollution, décident d’aller vivre sur la lune, sans savoir que l’homme y est déjà… Quand ils se rendent compte de l’utopie de leur projet, ils se tournent vers les enfants pour entrevoir une solution. Avec Tohu Bohu, la compagnie fait sa première tournée internationale en Belgique, après l’avoir joué plus de deux cent fois au Québec.
Écrit par Marie-Francine Hébert, auteure de pièces et de romans pour le jeune public, Le Toutatous (1977) arrive dans la période du théâtre engagé et des créations collectives. Sur un ton à la fois revendicateur et poétique, c’était une pièce sur le partage, la mise en commun. Les petits, on le sait, veulent tout pour eux tout seuls. Et puisqu’on trouve toujours des raisons pour se chicaner, comédiens et marionnettes construisent un Toutatous, où tout est à tout le monde. « Mais on ne voyait pas le Toutatous dans le spectacle, on jouait sur son fantasme, explique André. Quand, à la fin du spectacle, le Toutatous s’écroulait sans qu’on ne l’ait jamais vu, les enfants étaient terriblement frustrés. C’était une idée d’adulte, de ne pas le montrer ! Ce spectacle m’a appris à me méfier des idées d’adultes quand on parle à des enfants. »
À cette époque, les quelques compagnies qui existaient tournaient dans les écoles, avec leur système de son et d’éclairage, en complète autonomie. Elles installaient leur spectacle dans les gymnases, aménagés par leurs soins : «on jouait beaucoup, il n’était pas rare de faire 165 représentations d’un même spectacle en une saison».
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Regarde pour voir - 1979
- À dos de soleil
Autre création collective, Regarde pour voir a été le gros succès des premières années, qui a fait connaître le Théâtre de l’Œil. Créé en 1979, il a tourné pendant sept ans, en France, aux États-Unis, au Mexique… Écrit et mis en scène par Jocelyn Desjarlais, Lise Gascon, Marjolaine Jacob, Louise LaHaye, Pierre Tremblay et André Laliberté, ce spectacle est né de la volonté de montrer aux enfants comment fabriquer des marionnettes avec des matériaux de récupération.
« De la récupération comme un des beaux-arts », avait titré un journaliste. À l’invitation du Conseil des arts du Canada, Regarde pour voir est parti en Chine ! C’était la première tournée d’un spectacle canadien en Chine après la révolution culturelle. « Cette tournée n’était pas pour nous au départ, peut-être pour Micheline Legendre… Elle avait lieu dans le cadre d’un échange culturel et diplomatique et nous avons été reçus comme des diplomates ! s’amuse André. Ce qui était étrange, c’était d’aller jouer un spectacle sur la récupération dans une société qui n’était même pas rendue à la consommation. Les Chinois ne comprenaient pas. Pour eux, chaque objet avait son utilité, c’était « anti-chinois » de détourner un objet de sa fonction première. Quand j’y repense, cette tournée, quelle drôle d’idée…»
Le Théâtre de l’Œil embarque une interprète, condition sine qua non au voyage. Une interprète qui découvre, en arrivant à Pékin, qu’elle va s’improviser comédienne ! Dans le spectacle, joué en français, elle tenait le rôle d’une voisine, créé de toutes pièces pour l’occasion, qui faisait des commentaires en chinois.
Regarde pour voir fait également une tournée en Algérie, l’année précédant les émeutes de la révolte berbère. « Il y avait une tension terrible partout et on ne comprenait pas pourquoi… Alger, Oran, Tlemcen… On a fait une tournée passionnante ! Presque aussi exotique que la Chine mais plus satisfaisante, puisqu’on avait un contact direct avec les enfants qui, pour la plupart, parlaient français. »
En même temps que Regarde pour voir et avec les mêmes créateurs, est créé À dos de soleil, en 1979, un spectacle s’inspirant du livre de l’auteur et illustrateur Étienne Delessert, Comment une souris reçoit une pierre sur la tête et découvre le monde.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Les grandes vacances - 1981
« J’ai toujours pensé que les spectacles pour enfants peuvent toucher les adultes. On n’a jamais fini d’être un enfant, des fois on finit d’être un adulte, mais ça c’est autre chose » dit André. Les grandes vacances est l’unique spectacle pour adultes de la compagnie. André voulait parler de l’exploitation de la mort (un des accessoires était une couronne mortuaire de fleurs en plastique avec un ruban portant une inscription en lettres dorées : « lâche pas la patate », qui maintenant décore l’atelier du Théâtre de l’Œil !). Cherchant un auteur, il pense à Michel Tremblay : « J’avais écrit à Tremblay, très naïvement : monsieur, vous ne le savez pas, mais vous avez toujours écrit pour les marionnettes, voudriez-vous écrire un spectacle pour le Théâtre de l’Œil ? »
Créée à la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, la pièce a connu 99,9 % d’assistance. Un record ! Dans ce spectacle de marionnettes et masques mis en scène par Olivier Reichenbach, les croque-morts étaient représentés par des grands masques. Je jouais un croque-mort et j’avais une réplique que je n’oublierai jamais : « quand tu stuffes un mort, fourre la famille « ».
Malheureusement, dans un contexte économique difficile, ce spectacle assez lourd à tourner, avec six comédiens et deux techniciens n’a pas trouvé preneur. Mais il aura permis à son auteur de découvrir la force évocatrice des marionnettes : « à la fin du spectacle, Michel Tremblay est venu me voir et me dire : « mon dieu, si j’avais su à quel point les marionnettes peuvent émouvoir »».
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Le Théâtre de l’Œil s’implique dans son milieu (1981 - 1982)
Lieu de diffusion à Montréal destiné aux jeunes publics, la Maison Théâtre a été fondée en 1982 par trois compagnies de théâtre : le Théâtre de l’Œil, le Théâtre Le Carrousel et La Marmaille (devenue le Théâtre des Deux Mondes). L’ouverture de la Maison Théâtre répondait à la volonté des compagnies de produire et diffuser leurs spectacles dans des conditions professionnelles.
Au fil des années, André Laliberté a occupé plusieurs fonctions à la Maison Théâtre : Président fondateur, président du Conseil d’administration, président du comité artistique, membre du Conseil d’Administration, jusqu’à sa retraite, en 2020. Aujourd’hui, la Maison Théâtre regroupe 30 compagnies.
Le directeur général du Théâtre de l’Œil, Joël Losier, a été membre du Conseil d’administration pendant 10 ans, de 2012 à 2022. En plus de participer à de nombreux comités (comité finance et gestion des risques, comité de la maison permanente, comité de révision du plan stratégique), il a occupé le poste officiel de vice-président de 2016 à 2022.
Pendant qu’André Laliberté s’affairait à la création de la Maison Théâtre, Pierre Tremblay, membre du Théâtre de l’Œil depuis les débuts de la compagnie, travaillait avec les marionnettistes Josée Campanale, Jacynthe Potvin, Michel Ranger et André Viens pour mettre en place l’Association québécoise des marionnettistes (AQM). Depuis 1981, l’AQM œuvre pour la reconnaissance du milieu, le développement professionnel et le rayonnement international des compagnies du Québec.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Ombrelle tu dors - 1982
- Bonne fête Willy - 1988
Créée en 1982 sur un texte de Suzanne Aubry, Ombrelle tu dors mettait en scène le fantasme d’une petite fille qui s’imagine que ses parents vont se séparer. On parlait beaucoup de familles reconstituées, alors. La conception des marionnettes avait été confiée à Marie-Louise Gay, écrivaine et illustratrice de livres pour enfants, qui sera l’auteure de trois spectacles de la compagnie, Bonne fête Willy en 1988, Qui a peur de Loulou ? en 1993 et Le jardin de Babel en 1999.
Spectacle très populaire, Bonne fête Willy racontait l’histoire de l’apprenti sorcier. Un enfant découvre un jeu de magie et s’amuse à transformer son petit monde. Ainsi, sa sœur devient un éléphant et sa grand-mère un lapin… À la fin du spectacle, tentant de trouver un antidote, tout se retourne contre lui et le voici affublé d’une trompe d’éléphant, d’oreilles de lapin et d’une queue de poisson… Marie-Louise Gay a également conçu les marionnettes. « Avec ce spectacle, la compagnie a fait la tournée des parcs avec la roulotte de Paul Buissonneau. C’était la dernière année de tournée pour la roulotte, l’authentique de Paul. Elle a été remisée ensuite… C’était assez épique, on avait un gros décor, il fallait tout attacher, les marionnettes partaient au vent. On a aussi tourné dans tout le Québec, il y a peu de villages où on n’est pas passé… Comme on allait jouer dans les écoles, les enfants des régions avaient accès à des spectacles, peut-être plus que maintenant. »
Bonne fête Willy était le premier spectacle avec Libert Subirana à la conception musicale. Depuis, il a participé à sept spectacles du Théâtre de l’Œil.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Chouinard et Cie (1984 - 1986)
Planté sur le Plateau Mont-Royal du temps où il n’était pas encore envahi par les bobos, Chouinard, comme Guignol ou Punch, est un bon vivant, un peu paresseux, qui connaît des démêlés avec la police. « On n’était pas dans le cute, là. Il y avait les coups de bâtons et les bébés qu’on lançait par la fenêtre…». Avec Chouinard et Cie le Théâtre de l’Œil fait la tournée des parcs pendant un été et la tournée des salles le reste de l’année. «Je voyais des gens que j’avais vus la semaine d’avant, ils nous suivaient et connaissaient l’histoire aussi bien que nous !»
Le chanteur Michel Faubert était comédien pour Chouinard, après l’avoir été dans Regarde pour voir et Le soldat et la mort. André n’a que des bons souvenirs : « c’était merveilleux de travailler avec lui. Michel est un bon vivant, il nous faisait rencontrer des gens fascinants. Avec lui, on chantait beaucoup ! C’était un plaisir de voyager avec lui.»
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Le soldat et la mort - 1984
Collaboration avec Irina Niculescu
Dans les années 80, André Laliberté rencontre au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières Irina Niculescu, fille de Margarita (fondatrice de l’École nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières). Irina était alors directrice du théâtre Tandarica en Roumanie, et présentait L’histoire du poulain*. André et Irina entretiennent une relation épistolaire pendant quelque temps, avant qu’André propose à Irina de faire un spectacle pour le Théâtre de l’Œil, en collaboration avec le théâtre Tandarica. La conception et la fabrication des marionnettes étaient réalisées en Roumanie. « Quand Irina est arrivée avec les boîtes contenant les marionnettes, c’était comme un gros party de Noël en plein mois de juillet, ouvrir les boîtes et découvrir des marionnettes toutes faites !» se souvient André.
Adapté d’un conte traditionnel roumain et russe, Le soldat et la mort raconte l’histoire d’un soldat qui rencontre Saint-Pierre, déguisé, lui demandant la charité. Le soldat donne tout ce qu’il a et le bon Dieu se révèle à lui, lui proposant de devenir le gardien du paradis. Quand il se retrouve au Paradis, le soldat s’ennuie. Il demande : « y a-t-il des filles ici ? Et du vin ? Non. Du tabac ? Non. Mais où trouve-t-on tout ça ? En enfer ? Alors je veux aller en enfer ! » Puis, le soldat enferme la mort dans un sac, ainsi plus personne ne peut mourir. Saint-Pierre, très fâché, condamne le soldat à vivre plus vieux que la cathédrale Notre-Dame.
« On s’est fait traiter de tous les noms ! dit André. Parler de la mort aux enfants, c’était impensable à ce moment-là, mais surtout du ciel et de l’enfer ! On était en plein courant anticlérical, il fallait sortir le petit Jésus des écoles ! Aujourd’hui, les réactions seraient différentes. Quand on s’est produit à la Maison Théâtre, avant le spectacle, je devais dire aux enfants : « vous savez, c’est une légende, une histoire qui n’est pas vraie », et j’y allais quasiment en pleurant. Il reprend : « Ce spectacle, on l’a joué 80 fois, pour nous c’est très peu. Après les premières représentations, des rencontres étaient organisées avec les professeurs, nous étions soucieux de voir comment ils réagissaient. Je me souviens d’une prof dans une école assez progressiste de Montréal, qui m’a dit :
– Moi, il y a des mots que j’enlèverais du dictionnaire.
– Des mots comme mort, par exemple ?
* spectacle qui sera repris en 2019 par la compagnie sous le titre Les saisons du poulain
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Cœur à cœur - 1986
- Un Autre Monde - 1990
Parmi ses préoccupations artistiques, le Théâtre de l’Œil a toujours eu la volonté de renouveler les univers abordés, en faisant appel à des collaborateurs, à des auteurs susceptibles d’embarquer la compagnie vers des rivages inconnus. Pour surprendre les autres, il faut commencer par s’étonner soi-même. En 1985, l’aventure collective est terminée. S’amorce une période de transition pour André Laliberté, qui se retrouve seul à la tête de son théâtre. Il va même jusqu’à passer une annonce dans le journal : « théâtre de marionnettes cherche auteur ». Louisette Dussault lui présente Réjane Charpentier, qui avait travaillé à la télévision et à l’ONF. « C’était une femme impressionnante, se souvient André, elle avait ses idées et y tenait.» Il lui propose d’écrire une histoire pour la compagnie, mais sans passer commande sur un sujet précis.
Grande magicienne des mots, Réjane Charpentier était surtout connue pour ses émissions de télévision : Tour de terre, Am Stram Gram, Le grand duc. Écrire pour le jeune public, c’était un terrain encore vague, pour Réjane.
Cœur à cœur parlait de la difficulté que les enfants peuvent avoir à grandir… Un petit garçon a mal au cœur, il a quelque chose en lui qui ne marche pas : c’est la monstresse. En retrouvant des personnages de sa petite enfance, il réussit à confronter et à vaincre la monstresse. « Ce texte contient des notions psychologiques très fortes mais très incarnées. Cœur à cœur est un spectacle auquel je suis très attaché. Il est intemporel » dit André. Cœur à cœur a tourné pendant trois saisons, il a été représenté près de 300 fois. « Lors d’une série au Parc Lafontaine, au Centre Calixa–Lavallée, je m’occupais de la porte, je vendais les billets et je plaçais les enfants. Je reconnais un monsieur et je lui dis : « je vous ai vu la semaine passée, et la semaine d’avant aussi ? » Il répond, en désignant sa fille : « c’est elle, elle veut venir voir ça toutes les semaines ! » À la fin du dernier spectacle, la petite fille est allée voir le comédien, Jean Raymond, qui jouait l’enfant, et elle lui a dit : « maintenant, tu peux grandir… » Je pense que ce spectacle incitait les enfants à se prendre en main, à affronter leurs démons intérieurs. Réjane a une écriture très intelligente. »
Avec Cœur à cœur Richard Lacroix crée sa première scénographie pour le Théâtre de l’Œil. Il devient un compagnon de route de la compagnie et signera (presque) toutes les scénographies des spectacles qui vont suivre. On parle souvent de « famille » dans le milieu artistique. Alors le Théâtre de l’Œil en est une belle ! D’année en année, la liste des fidèles collaborateurs s’allonge, des artisans de l’atelier aux équipes de création, de jeu et de bureau ! Comme un port d’attache, un havre de paix et de création, le Théâtre de l’Œil est un de ces lieux – rares – où l’on revient toujours, avec toujours plus de plaisir
En 1990, le Théâtre de l’Œil propose à Réjane Charpentier d’écrire pour les tout-petits avec, cette fois-ci, une contrainte : le format du spectacle, s’apparentant à du théâtre de table. Ce sera Un Autre Monde, « un des plus beaux textes qu’on ait jamais eus » dit André. Une Grande Dame nous convie au jeu de la création… Magicienne, déesse ou les deux à la fois ? Du noir et du vide, elle fait jaillir un monde coloré, peuplé de créatures qui doivent apprendre à vivre ensemble. Le rosier qui sent bon et la mouffette qui pue, un ourson solitaire et un écureuil en mal d’amour, des oiseaux et des poissons se disputant le bleu du ciel et de la mer… Des bestioles fort sympathiques qui cherchent à se faire une place au soleil, en apprivoisant leurs différences.
Quand le texte est arrivé au Théâtre de l’Œil, l’équipe s’est mise au travail. Recherches, explorations, remue-méninges, dessins, maquettes… Richard Lacroix, scénographe connu pour son imaginaire débordant, conçoit les créatures et autres bestioles, toutes aussi drôles qu’ingénieuses, et le décor de cet Autre Monde. « Autant Réjane était méfiante pour Cœur à cœur, parce qu’elle avait peur qu’on la dénature, autant pour Un Autre Monde, elle était en totale confiance. Quand j’appelais Réjane pour des changements – j’ai toujours été très respectueux avec les auteurs – elle me disait : « tu sais, tu fais ce que tu veux, c’est à toi ».»
Dès sa sortie, en 1990, Un Autre Monde est fort bien accueilli. Créé au festival Les Coups de Théâtre à Montréal, il a reçu le prix de la Meilleure production jeune public, décernée par l’Association québécoise des critiques de théâtre. Ce spectacle a été présenté presque 300 fois, au Québec et au Canada. En 2007, Un Autre Monde était présenté (pour la troisième fois !) à la Maison Théâtre de Montréal. Au printemps 2009, traduit en anglais par Maureen Labonté, Un Autre Monde / A New World part en tournée en Alberta, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et au Québec.
Réjane Charpentier est partie en 2000 pour le voyage dont on ne revient pas… Le Théâtre de l’Œil est heureux de faire sonner et résonner ses mots, longtemps après elle.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Sollicitation au cinéma et au théâtre (1989 - 2001 - 2005)
En 1989 a lieu le tournage à Toronto du premier film en 3D d’Imax Corporation, La force du soleil / Echoes of the Sun. André Laliberté et Richard Lacroix sont chargés de l’écriture du scénario de la séquence de marionnettes. Ils collaborent ensuite à la création, à l’enregistrement et à la manipulation des marionnettes.
En 2001, Le théâtre de l’Œil participe au développement du concept, à la mise en scène et à la conception de la «marionnettique» pour Hugo et le Dragon, un film de Philippe Baylaucq (production de Arico Film Communication, Montréal). Richard Lacroix fait pour ce film un de ses premiers scénarimages.
En 2005, Au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal, l’équipe du Théâtre de l’Œil est invitée à participer à l’élaboration du canevas et à la mise en scène d’une séquence de marionnettes à tringles pour La Savetière prodigieuse de Garcia Lorca, dans la mise en scène de Martine Beaulne.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Jules Tempête - 1991
- Un secret de Polichinelle - 1994
Sur un texte de Cécile Gagnon, Jules Tempête est créé en 1991, en collaboration avec Alain Moreau du Tof Théâtre de Belgique. Conducteur de la souffleuse, pris au cœur de la tempête du siècle, Jules cherche comment régler la chicane dans la famille. Il trouve un moyen radical, en traversant la maison avec la souffleuse ! Ainsi, avec deux maisons, il pense avoir solutionné le conflit. Très populaire en province, ce spectacle avait pour thème l’hiver, assez peu exploité dans notre dramaturgie. Des années après, en tournée, on trouvait des affiches de Jules Tempête dans les théâtres et les techniciens, qui sont d’excellents baromètres, disaient : «Ah ça, c’était un beau spectacle !»
Pendant plusieurs années, le Théâtre de l’Œil avait une troupe, des marionnettistes engagés à temps plein et à l’année. Une chose inimaginable de nos jours ! En ressortant les marionnettes des anciens spectacles est venue l’idée d’Un secret de Polichinelle : montrer les différentes techniques et approches des marionnettistes. Manipulation à vue ou cachée, marionnettes à fils, à gaine, à tringle, ombres chinoises… Dernier spectacle dans lequel il a joué, André Laliberté interprétait son propre personnage, celui du vieux Gepetto dans son atelier. «J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer Un secret de Polichinelle, dit André, j’avais l’impression d’avoir 300 enfants assis sur mes genoux.» Créé en 1994, ce spectacle a lui aussi été très populaire, il a tourné pendant six ans.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Stages, ateliers et compagnonnage - 1991
- DESS en théâtre de marionnettes contemporain de l’UQAM - 2007
Jusqu’à tout récemment, la manipulation de marionnettes ne s’enseignait que « sur le tas », au sein des compagnies ou en suivant des stages et classes de maîtres organisés par l’Association québécoise des marionnettistes (AQM). Les nombreuses tournées et créations du Théâtre de l’Œil ont très vite incité André Laliberté à combler ce manque de formation professionnelle, en dirigeant des stages et des ateliers. Bien des comédiens se sont perfectionnés au Théâtre de l’Œil avant de fonder leur propre compagnie, comme Hélène Ducharme, du Théâtre Motus, Robert Drouin, du Théâtre en l’air, Sébastien Gauthier, du Petit Théâtre du Nord, Simon Boudreault, de Simoniaques Théâtre, Catherine Vidal, du groupe Bec-de-Lièvre.
Avouant tirer une certaine fierté à voir comment les jeunes créateurs qu’il a formés intègrent la marionnette dans leur spectacle, André dit souvent : « Pour être marionnettiste, il faut un petit ego et de gros bras, pas le contraire ». Lui, il garde toujours les bras grand ouverts. Ainsi, pour la reprise de Un Autre Monde, il confie le jeu à deux comédiens finissants de l’École nationale de théâtre, venus se perfectionner au Théâtre de l’Œil. « J’aurais pu leur proposer un atelier, mais j’avais peur qu’ils s’ennuient. Je trouvais plus intéressant de les faire travailler sur un spectacle existant, comme s’ils étaient de vrais marionnettistes ». L’exercice fut concluant puisque le premier engagement d’Estelle Richard et Nicolas Germain-Marchand en sortant de l’école, fut celui du Théâtre de l’Œil, pour une tournée au Québec et une traversée du Canada.
Alors que le théâtre jeune public est un gros employeur de jeunes comédiens, curieusement on n’en parle que très peu dans les écoles. Les compagnies québécoises sont internationalement reconnues, sauf du grand public québécois ! Ce manque flagrant de reconnaissance serait-il dû à la catégorie de public auquel on s’adresse ?
Faisant suite à la formation traditionnelle en compagnonnage et par des stages proposés par l’Association québécoise des marionnettistes, la création d’un diplôme en études supérieures spécialisées (DESS) en théâtre de marionnettes contemporain en 2007, à l’Université du Québec à Montréal professionnalise le milieu et formera une relève riche et dynamique.
André Laliberté y enseigne de 2011 à 2017. Il est plus particulièrement chargé d’encadrer les étudiants pour la création d’une courte forme au sortir de leurs études.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Zoé perd son temps - 1995
- La Cité des loups - 2005
Pour Zoé perd son temps, un texte de Michelle Allen, André Laliberté invite Martine Beaulne à faire sa première mise en scène de marionnettes. André connaît Martine depuis longtemps, il la sait fascinée par le Japon et les marionnettes bunraku. De cette expérience, Martine a compris que les marionnettes demandent plus de concentration que les humains, avec elles il faut tout voir, jusque dans le moindre détail.
En 2005, Martine Beaulne signe la co-mise en scène (avec André Laliberté) de La Cité des Loups. Spectacle exigeant, il représentait un beau défi : parler de la maladie aux enfants ! Pas un sujet très séduisant… Pourtant, le beau texte de Louise Bombardier et la petite Élise dans sa chambre d’hôpital ont touché les jeunes spectateurs. Treize ans plus tard, on retrouve Martine Beaulne pour la co-mise en scène de Marco bleu, un texte de Larry Tremblay.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Le Porteur - 1997
Il aura suffi d’une étoile tombée du ciel… Pour faire du Porteur un vrai petit miracle. Depuis plus de 20 ans, Pretzel, ce drôle d’asticot à la drôle de bouille parcourt les routes et les ciels du monde entier. Créé en 1997 par Richard Lacroix, André Laliberté et Richard Morin, Le Porteur / The Star Keeper a visité l’Angleterre, la Suisse, la France, l’Allemagne, le Japon, la Chine, la Corée, le Mexique, les États-Unis, et bien sûr, le Canada et le Québec… Au total, plus de huit cents représentations et 25 ans de tournées ! Et quelques prix : le prestigieux Chalmers Canadian Play Award, Theatre for young audiences en 2001, une Citation of excellence in the Art of Puppetry décernée par Unima-USA en 2005 et trois Masques remis en 1999 par l’Académie québécoise du théâtre : production jeunes publics, conception de décor et contribution spéciale pour la conception de marionnettes.
Théâtre d’images, d’ombres et de lumières, le monde de Pretzel est peuplé de personnages rigolos, étonnants, attachants : une araignée qui fait des claquettes dans le ventre d’un homme-théâtre, une sirène qui fait sa coquette au bal des poissons, une famille d’hippocampes en pique-nique, un bébé capricieux, une vieille dame très digne… Théâtre universel, sans paroles et sans frontières, Le Porteur baigne dans l’univers magique des rêves d’enfants. Marionnettes, musique, scénographie, effets spéciaux inventent un langage délicat et poétique pour raconter la quête initiatique de Pretzel et sa belle étoile. Car André Laliberté manipule l’illusion comme d’autres le verbe. L’alchimie créée entre les marionnettes et la subtile technicité forcent l’admiration.
Le Porteur a demandé quatre ans de travail en atelier, de recherches, d’expérimentations, avec Richard Lacroix et le peintre Richard Morin. «Sans le faire exprès, nous avons créé un spectacle universel, dit André. Et il tourne encore ! Certains théâtres nous accueillent pour la troisième fois !»
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Qui a peur de Loulou ? - 1993
- Le jardin de Babel - 1999
Qui a peur de Loulou ? parlait des préjugés, de la peur du loup. Loulou est une gentille petite louve qui n’a pas d’amis, parce que les gens pensent que les loups sont méchants.
Pour Le jardin de Babel, Marie-Louise Gay a livré un texte très abouti, où elle exploite les ressources de la marionnette d’une façon très raffinée. Elle raconte une aventure rocambolesque dans un jardin imaginaire, un conte moderne dans lequel les princesses ne sont pas toutes charmantes et les héros le deviennent malgré eux. Repris quelques années plus tard, ce spectacle sera le premier terrain de jeu de Simon Boudreault dans le merveilleux monde de la marionnette.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- La Félicité - 2002
La Félicité porte bien son nom, c’est l’histoire d’un spectacle au « bonheur calme et durable » (dit le Petit Robert à la page F). Alors que Simon Boudreault, après un stage au Théâtre de l’Œil et Marie-Pierre Simard, fraîchement sortie de son école française de marionnettes, sont marionnettistes dans Le Jardin de Babel, André Laliberté leur propose de créer avec lui le prochain spectacle. Retombant dans leurs livres d’enfance, tous trois décident de raconter une drôle d’histoire pour une drôle de fée. Richard Lacroix à la scénographie et Libert Subirana à la composition musicale complètent l’équipe de création. La Félicité a tourné pendant quatre saisons, été comme hiver, au Québec et au Canada. En tant que Dear Fizzy, elle s’est donnée en spectacle jusqu’aux Etats-Unis.
La Félicité pourrait être l’emblème de la fidélité calme et durable qui règne au Théâtre de l’Œil. Les concepteurs qui y participaient figurent dans les génériques des créations de la compagnie, passées et suivantes. Fière représentante d’un répertoire que le Théâtre de l’Œil s’attache à construire pour la marionnette, La Félicité a été créée en 2002 à la Maison Théâtre, et reprise dix ans plus tard au même endroit, afin de faire le bonheur de ceux qui n’étaient pas nés dix ans auparavant…
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Ah, la vache - 2007
Javier Swedsky est un homme de théâtre argentin, vivant à Buenos Aires. André Laliberté le rencontre à Montréal lors d’un stage organisé par l’AQM. « La particularité de Javier Swedzky, explique André, c’est qu’il pense en marionnettes, il n’adapte pas ses personnages au médium, il crée pour lui. Javier a d’abord écrit le texte en espagnol, puis l’a traduit en français. Et ensuite on l’a corrigé, tout en gardant le style de Javier. Étant de culture hispanique, il a parfois des tournures un peu curieuses en français, mais tellement poétiques !»
Pour Ah, la vache !, André Laliberté a donné carte blanche à Javier Swedsky. Auteur, metteur en scène, concepteur des marionnettes et du décor (avec Marc-André Coulombe), Javier invente un univers proche de la bande dessinée en passant par le cirque, le cabinet de curiosités, la disco et la comédie musicale. Complètement éclaté, le spectacle défie les lois de la perspective, ainsi une marionnette immense, «tellement grande qu’on ne peut jamais la voir en entier», en côtoie d’autres minuscules, hautes comme une main. Un lapin géant en peluche rose est piloté par un minuscule personnage, une vache animée par deux détectives (de vrais comédiens cette fois-ci) fait des claquettes.
La vache a fait sa folle pendant quatre ans sur les routes du Québec et du Canada, en plus d’être consacrée parmi les dix meilleurs spectacles de l’année 2007 par le quotidien La Presse.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Sur 3 pattes - 2010
« Sur 3 pattes est un spectacle sans paroles, dit André Laliberté, de la volonté des concepteurs, Simon Boudreault et Richard Lacroix. Cela va de soi pour Richard, homme d’images, mais pour Simon, homme de paroles, c’est un beau défi ! On en a déjà fait un [Le Porteur], disons que c’est une façon d’explorer encore une fois cette forme de théâtre… Ça fait naître une poésie plus imagée : ce qu’on ne peut pas dire, il faut le faire comprendre par les images. Ainsi, on est plus proche de la marionnette. Quand la marionnette devient trop bavarde, c’est là qu’on décroche. »
En version cinémascope et multicolore, Sur 3 pattes est une réalisation de Simon Boudreault et Richard Lacroix, co-auteurs et respectivement metteur en scène et scénographe, sur une musique originale de Michel F. Coté. Créé en 2007 à la Maison Théâtre, Sur 3 pattes est un conte philosophique, une réflexion poétique et sans paroles sur le temps qui passe et nous change, sur la vie qui toujours renaît, comme l’herbe repousse sur les champs brûlés, et les fleurs après la neige.
Dans la forêt, un écureuil fouille dans les détritus d’un dépotoir, trouve une caméra sur son trépied. Il suffira qu’un papillon se pose dans le boîtier pour que soudain, la caméra s’anime. Cyclope à trois pattes, à la fois microscope et télescope, Caméra découvre de son œil neuf un environnement en mouvement. On y croise Philomène l’amérindienne, une Dame-nature fantasque et facétieuse, une Bichette aux yeux doux, une fourmi qui voyage en balloune, des oisillons et des moustiques…
Pour ce spectacle, Richard Lacroix invente un effet de vidéo en marionnettes, qui lui donne une facture cinématographique. Zooms, gros plans et plans larges sont réalisés avec des acétates. D’ailleurs, bon nombre de spectateurs ont reconnu avoir été «bluffés» par le procédé !
Après avoir fait la ronde habituelle au Québec et au Canada, Sur 3 pattes fait une tournée en Chine en janvier 2013.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Corbeau - 2012
Écrit par Jean-Frédéric Messier, Corbeau est inspiré d’une légende amérindienne, un conte universel qui souligne l’importance de la transmission entre les générations. La nouveauté pour ce spectacle, c’est le travail à vue : « Il faut intégrer la manipulation dans le jeu de l’acteur, régler les positions dans l’espace, les mouvements, les déplacements, dit André. Comme les décors sont filmés en direct et projetés, c’est une contrainte de plus. Mais ce qui est intéressant, c’est de faire ce qu’on n’a jamais fait. Alors là, je suis gâté ! ».
Pour cette 25e création, André s’est entouré de ses fidèles collaborateurs, «l’arrière garde » comme il la qualifie affectueusement : Richard Lacroix pour la conception des décors et des marionnettes, Libert Subirana à la composition musicale et Gilles Perron aux lumières, dont c’est la cinquième création pour le Théâtre de l’Œil.
Corbeau a été créé à la Maison Théâtre en octobre 2012 et présenté au Centre national des arts d’Ottawa en avril 2013.
Pour fêter la 40e saison de la compagnie, le livre Corbeau paraît aux Éditions L’Instant même, avec le scénarimage de Richard Lacroix, le texte de la pièce et des entrevues avec Jean-Frédéric Messier, Richard Lacroix et André Laliberté par Michelle Chanonat.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Le cœur en hiver - 2015
Pour Le cœur en hiver, 26e création du Théâtre de l’Œil, André Laliberté a invité Catherine Vidal et Étienne Lepage, un des tandems artistiques les plus prometteurs de sa génération, dans l’incroyable aventure de la conception d’un spectacle de marionnettes.
« Quand une compagnie de théâtre a passé la quarantaine, comme c’est notre cas, elle doit sous, peine d’asphyxie, trouver une nouvelle paire de lunettes pour garder une vision claire, dit André Laliberté. Pourquoi embarquer des jeunes ? Pour ouvrir les fenêtres et faire passer de l’air frais. J’ai vu plusieurs des spectacles mis en scène par Catherine Vidal, et j’ai été frappé à quel point elle travaille avec les objets, elle sait faire vivre les objets ! De plus, elle était marionnettiste sur Ah la vache ! créé en 2007. C’est dire qu’elle connaît bien les contraintes de l’envers du décor. »
L’adaptation du conte La Reine des neiges a été confiée à Étienne Lepage : «Il est parti de l’histoire d’Andersen. Son écriture décapante était toute indiquée pour dépoussiérer le conte et le rendre accessible aux enfants d’aujourd’hui. J’aime beaucoup sa Gerda, elle est lucide et déterminée. Dans sa quête, elle fait preuve d’obstination et de courage. Elle choisit la vie, la joie et le bonheur malgré la souffrance qui vient avec. Gerda vient dire aux enfants de ne jamais baisser les bras, de faire tout ce qu’on peut pour les autres mais qu’on ne peut pas choisir à leur place.».
Conseiller dramaturgique, tel pourrait être le rôle d’André sur la création du Cœur en hiver. Mais il n’a jamais aimé les titres ronflants : « Disons que je veille au grain, répond-il modestement. J’interviens un peu sur la technique. Catherine [Vidal] et moi avons une belle relation de confiance et d’amitié, et ce qu’elle propose est très intéressant : l’intégration dans le jeu des marionnettistes. Au niveau de la marionnette, Catherine a une façon différente d’approcher les personnages, elle a imaginé des personnages-lieux, des personnages construits sur des marionnettistes… Elle a emmené Richard Lacroix, le scénographe, dans des territoires encore inexplorés !»
Stéphane Heine, marionnettiste sur plusieurs spectacles de la compagnie et assistant d’André à la mise en scène pour Corbeau, a accompagné la metteure en scène : « Stéphane a une expérience très pratique de la marionnette, il y a tellement de détails à considérer pour aboutir à quelque chose de simple, qui coule de source. La principale difficulté dans une mise en scène de marionnettes est l’aspect technique. Il faut tout voir, tout régler, c’est bien plus compliqué qu’avec des comédiens ! s’amuse André. Si la création, c’est se promener dans un bois inexploré, je peux fournir quelques lanternes».
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Marco bleu - 2018
« Pour le Théâtre de l’Œil, Martine Beaulne a mis en scène deux créations : Zoé perd son temps, en 1995, et La cité des loups en 2005, explique André Laliberté. Il faut croire qu’elle a pris goût à la marionnette puisque c’est elle qui m’a parlé de Même pas vrai, un livre de Larry Tremblay, avec l’idée d’en faire un spectacle. Devant son enthousiasme, j’ai couru chercher ce livre qui m’a, moi aussi, beaucoup amusé par ses situations cocasses et ses inventions. Cependant, je n’étais pas convaincu que l’on pourrait en tirer un spectacle de marionnettes. Devant mes réticences, Martine a suggéré que nous rencontrions Larry pour en discuter. Et c’est là que le miracle s’est produit ! Non seulement Larry était d’accord avec mes doutes et mes interrogations, mais il nous a aussi proposé de faire de son histoire une adaptation, mieux susceptible de servir le théâtre de marionnettes. C’est ainsi qu’est né Marco bleu. Dès le début, Richard Lacroix, également collaborateur régulier de Martine Beaulne, a fait partie du projet. Grâce à son expertise et à sa connaissance fine de la marionnette, il a grandement contribué à l’esthétique et à la mise en espace de cette création ».
Même pas vrai, paru en 2016 aux Éditions de la Bagnole, est le premier ouvrage de Larry Tremblay pour la jeunesse, un livre graphique illustré par Guillaume Perreault qui met en scène Marco, un petit garçon de « sept ans et demi avec des poussières », qui pose sur le monde qui l’entoure un regard candide et sensible. Le livre a reçu le prix Jeunesse du Salon du livre de Saguenay, en octobre 2017, ainsi que le prix TD de littérature canadienne pour l’enfance et la jeunesse, un prix remis chaque année, en novembre, au « livre le plus remarquable écrit pour des jeunes âgés de 0 à 12 ans ».
Même pas vrai est un recueil de petites scènes, de conversations de Marco avec son père et sa mère. Mais Larry Tremblay s’est rapidement aperçu qu’il ne pouvait pas l’adapter pour le théâtre. Il a donc écrit une nouvelle pièce, en gardant les mêmes personnages : Marco et son amie Gina, ainsi que les parents du petit garçon et sa nouvelle petite sœur.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Les saisons du poulain - 2019
André Laliberté et Irina Niculescu se sont rencontrés autour du spectacle Les saisons du poulain, lors de sa présentation au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, en 1979.
Les saisons du poulain a été créé à Bucarest, au Théâtre Tandarica, en 1977. Il a ensuite été repris, en 2003, au Théâtre des Marionnettes de Genève. La scénographie, les marionnettes et la musique ont alors été retravaillées par le marionnettiste et compositeur John Lewandowski. Ce spectacle a eu beaucoup de succès et il a fait des tournées conséquentes en Europe. Quand Irina Niculescu a quitté Genève, elle l’a emporté avec elle. Ce qui a permis de le remonter à Montréal : « On l’a réactualisé, dit André Laliberté, pour le rapprocher de la sensibilité québécoise. C’est une allégorie, un conte initiatique qui montre la découverte de la vie par un poulain, qui apprend à grandir et à contrôler sa force, qui apprend qui il est, et finit par comprendre qu’on peut respecter les plus faibles que soi. Pour les enfants, c’est très valorisant de voir un petit devenir un adulte ».
L’esthétique du spectacle est née de la recherche d’une forme poétique pour suggérer un monde à l’état sauvage et libre. Les marionnettes ont la particularité d’avoir une tête en bois et un corps en tissu, sans articulations. Elles vont à l’encontre des règles classiques de la marionnette, parce que le poids est en haut et non pas en bas.
La marionnette à longs fils demande, comme structure de base, un pont d’une hauteur de deux mètres et d’une largeur de cinq mètres. Les marionnettistes se tiennent sur le pont, à une hauteur de 1,50 mètre du plancher. La distance entre le marionnettiste et la marionnette crée l’illusion que la marionnette évolue seule dans un grand espace. Le théâtre de marionnettes à fils longs est considéré comme le plus difficile à maîtriser. Très apprécié dans le monde, cet art est rarement vu sur les scènes européennes.
Jean Cummings, Graham Soul et Myriame Larose ont développé une habileté et une sensibilité avec les marionnettes à fils du Porteur. Avec Les saisons du poulain, ils ont raffiné leur apprentissage des marionnettes à longs fils : « C’est une manipulation très indirecte, explique André Laliberté. Les longs fils réagissent comme un pendule, il faut trouver un contrôle qui n’est pas facile à acquérir. La marionnette à fil est victime de beaucoup de préjugés. Pourtant c’est une technique qui a fait ses preuves. Pour les enfants, c’est vraiment magique, ils ne pensent pas qu’il y a un manipulateur au-dessus, ils croient ce qu’ils voient. »
Formé pendant dix ans auprès de Micheline Legendre, spécialiste de la marionnette à longs fils, André Laliberté a toujours voué à cette technique une affection particulière : « Pour renouer avec la marionnette à fils, Les saisons du poulain est un bon véhicule. Ce sera en quelque sorte mon legs, qui traduit mon amour pour la marionnette à fils, une technique qui malheureusement se perd ».
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Furioso - 2020
Pour sa première création en tant que directeur artistique du Théâtre de l’Œil, Simon Boudreault a invité l’auteur Olivier Kemeid à embarquer dans l’aventure de l’écriture pour théâtre de marionnettes.
Inspiré de Orlando Furioso, de L’Arioste, Olivier Kemeid en a livré sa propre lecture, qui met en scène des personnages qui déjouent les conventions. Ainsi, les chevaliers sont beaucoup moins braves et les princesses plus intrépides que dans les contes traditionnels.
Un spectacle trépidant où l’on croise, échappés de l’imaginaire médiéval, un hippogriffe, une orque marine, une magicienne, des guerriers en armure et des pupi, ces marionnettes siciliennes à tiges du 16e siècle…
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Départ à la retraite d’André Laliberté - 2020
André Laliberté a dédié sa vie à la marionnette, et la marionnette le lui a bien rendu. Après 47 ans à la tête du beau navire qu’est le Théâtre de l’Œil, le capitaine passe la barre à Simon Boudreault, l’esprit tranquille et satisfait du travail accompli.
Un hommage est rendu à André Laliberté pendant le festival de Casteliers, à Montréal. Réunies pour un ultime tour de piste, les créatures d’André, portées par les marionnettistes qui les ont manipulées, envahissent l’immense scène du Théâtre Outremont. Une extraordinaire ovation debout pour saluer le grand maître, avec émotion et reconnaissance.
Pour souligner une carrière exceptionnelle au service de l’art, André Laliberté reçoit le prix Albert-Tessier.
Grand Prix de l’ordre des arts et des lettres du Québec , en 2022 : https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/14132/jan-rok-achard-gaston-bellemare-et-andre-laliberte-recipiendaires-de-l-ordre-des-arts-et-des-lettres-du-quebec-2022
Article dans La Presse du 7 mars 2020 : https://www.lapresse.ca/arts/theatre/2020-03-07/47-ans-de-marionnettes
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- La Cité des loups, racontée par le bout du crayon - 2021
La Cité des loups racontée par le bout du crayon est l’adaptation numérique du spectacle La Cité des loups, créé par le Théâtre de l’Œil en 2005, d’après un texte de Louise Bombardier. Reprenant les dessins de la recherche scénographique de Richard Lacroix, cette animation raconte, en une trentaine de minutes, l’histoire d’Élise et de sa rencontre avec deux loups à la recherche d’une cité mystérieuse. Elle est réalisée par Joël Melançon.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.
- Perruche - 2023
Le Théâtre de l’Œil regorge d’artistes et d’artisans possédant une grande expertise dans leur domaine, que ce soit la scénographie, la fabrication de marionnettes, le jeu et la manipulation, la conception de décors et de costumes… C’est pourquoi, dès son arrivée à la direction artistique, Simon Boudreault a eu la volonté de valoriser ces savoir-faire et surtout, d’assurer leur transmission. C’est dans cet esprit qu’est née l’idée du « Petit Théâtre de l’Œil », une initiative qui consiste à inviter des artistes émergents à créer et, ce faisant, à profiter des connaissances des concepteurs, artistes et artisans qui y collaborent depuis de nombreuses années.
Perruche est une petite forme pour trois marionnettistes, avec un décor plus restreint qu’à l’habitude. « La pièce montre aux enfants la force de la poésie comme accompagnateur de vie, pour traverser les choses tristes ou joyeuses qu’on vit tous les jours » dit Simon Boudreault.
Séduit par la lecture du livre de Virginie Beauregard D., Simon Boudreault a décidé de mettre en place un atelier pour lequel il a invité l’autrice ainsi que la conceptrice Ève-Lyne Dallaire à travailler ensemble sur l’adaptation et la conception du spectacle. Si Perruche s’avère être sa première scénographie pour le Théâtre de l’Œil, Ève-Lyne Dallaire est bien connue dans l’atelier, puisqu’elle a travaillé sur trois productions de la compagnie : pour Le cœur en hiver et Marco Bleu, elle était essentiellement chargée de la création des costumes ; sur Furioso, son expertise en sculpture a été mise à profit, notamment pour réaliser des armures à la fois réalistes et légères. Pour Perruche, elle gère l’atelier, conçoit et fabrique les marionnettes.
@Rédaction Michelle Chanonat, vidéo Laetitia Demessence.